Cardinal Gerlier - Le problème de l'engagement politique de l'Eglise
par Philippe Brindet

11 juin 2007

Dans une thèse d'habilitation [1], l'historien Olivier Georges étudie la carrière du Cardinal Gerlier. Olivier Georges et son jury, à la suite des instances de contrôle de l'Université, vilipendent une citation d'un discours de Mgr Gerlier, prononcé le 20 novembre 1940 à Lyon. La citation qu'on trouve partout est :
"Pétain c’est la France ; et la France, aujourd’hui, c’est Pétain !"
Or, Olivier Georges dans la Revue de l'Institut de l'Histoire du Christianisme, publie le texte intégral du discours de Mgr Gerlier. Si on en examine avec un peu de soin la formulation, on peut constater que la citation ne rend pas la nuance avec laquelle Mgr Gerlier a prononcé cette formule.

Le passage entier qu'il faut citer pour comprendre la portée de la formule est le suivant :
" ..., avez-vous remarqué, Monsieur le Maréchal, que les appels vibrants de la foule, d’abord multiples, se sont fondus bientôt en deux seuls cris : « Vive Pétain ! » - « Vive la France ! ». Deux cris ? Mais non : ils n’en font plus qu’un seul. Car Pétain c’est la France ; et la France, aujourd’hui, c’est Pétain ! Pour relever la Patrie blessée, toute la France, Monsieur le Maréchal, est derrière vous."
Ce que l'on voit, c'est que, privée de sa préposition "car", la fraction de phrase isolée prend un autre sens que celui que Mgr Gerlier a réellement donné. En effet, la formule de Mgr Gerlier, qu'on l'accuse d'avoir formé de lui-même, est un simple constat, une interprétation de l'observation d'un mouvement de la foule, rassemblée la veille du prononcé du discours, Place Bellecour, à Lyon. La formule est ainsi une interprétation de la volonté populaire, enthousiaste et approbatrice peut-être, mais elle aurait ou être prononcé par la plupart des participants à cette manifestation populaire.

Or, le plus étrange, c'est que Mgr Gerlier invente réellement une formule qui est bien de lui. La véritable formule inventée par Mgr Gerlier, c'est la dernière phrase, mais toute la phrase, du passage cité :
"Pour relever la Patrie blessée, toute la France, Monsieur le Maréchal, est derrière vous."
Cette formule dérive du constat que le cardinal dresse de la situation politique actuelle de l'époque. Malheureusement, dans un régime de séparation de l'Eglise et de l'Etat, un tel responsable ne devrait pas engager l'Eglise. Le faisait-il à titre personnel ? Hélas, il n'existe pas le 20 novembre 1940 de "citoyen Gerlier" qui serait libre de formuler une opinion politique. Il y avait un Cardinal qui aurait dû rester dans sa cathédrale.

Or, le 20 novembre 1940, les Français ignoraient jusqu'à l'existence de la résistance gaulliste qui représentait moins de deux cent personnes à Londres [2]. Le 20 novembre 1940, à Paris, les imprimeurs communistes du Syndicat du Livre imprimaient avec enthousiasme les affiches de l'armée d'occupation nazie et l'Humanité appelait à pleines pages les ouvriers à fraterniser avec l'armée nazie [3].

Si on compare donc le discours du Cardinal Gerlier avec la véritable situation historique, on peut comprendre le caractère relativement  modéré de la déclaration de l'archevêque. Bien entendu, quelques années plus tard, cette déclaration est fortement critique à l'égard du gaullisme. Elle est même fortement opposable à la posture générale de résistance à l'occupation nazie. Mais, elle ne la soutient pas. Affirmer le contraire, c'est faire injure à l'objectivité.

Or, en parcourant le livre des raccourcis de l'Histoire, et surtout des raccourcis partisans et partiaux, on peut percevoir le caractère nuisible des discours ecclésiastiques dans lesquels des dirigeants de l'Eglise se commettent avec la société politique. Se considérant comme membre à part entière de la société politique de la France de Vichy, le cardinal Gerlier jouait par son discours de Lyon un rôle politique qui ne nous paraît pas nécessaire à la mission de l'Eglise.

Ainsi, le retournement périodique de l'Histoire rend douteux les engagements politiques d'une époque lors de l'époque suivante. L'intemporalité de l'Eglise exige donc que le discours de l'Eglise reste dans l'intemporel. Ce qui ne l'empêche pas, par exemple, d'avoir un discours critique contre les atteintes notamment à la loi naturelle, et bien entendu au Droit de l'Eglise.

L'historien Olivier Georges parlant de la pensée du Cardinal Gerlier dit de lui qu'
"il était resté fidèle à la position dictée par Léon XIII et confirmée ensuite par les papes successifs : refuser toute lutte sur le terrain politique, accepter le régime en place quel qu’il soit et surtout travailler à « redonner la France au Christ » par la pratique d’un catholicisme intégral, triple mouvement de conversion intérieure, de transformation sociale et de demande de reconnaissance gouvernementale."
Or, l'exécution de ce programme terminée, on peut seulement constater la déchristianisation achevée de la France qui, à l'époque de 1940, devait encore représenter environ 40 % de la population française. Soixante ans plus tard, la population catholique doit aujourd'hui représenter entre 1 et 2% de la population globale. Pire, parmi cette fraction, près de la moitié ne croît pas en Dieu et ignore l'autorité du Saint-Père.

On peut estimer que l'épiscopat français, contrôlé par la Conférence épiscopale de France, n'a pas, au moins formellement, une doctrine très différente de celle du Cardinal Gerlier telle que la formule Olivier Georges.

Très clairement, le soutien public du Cardinal Gerlier au régime de Vichy est, ainsi qu'on le sait, dénoncé par l'épiscopat français. De même, la pastorale qui se réclame du Concile Vatican II a changé le contenu du triple mouvement du catholicisme, mais il en a conservé les mêmes présupposés spécieux au prétexte d'ouverture au monde et de dialogue. Mais le dialogue n'est pas la collaboration, pourtant [4].

On peut dire que de ce point de vue, par son soutien aux régimes en place, l'épiscopat français n'a rien appris et poursuit avec persévérance son incorporation au système politique, qu'il soit national ou européiste. Seule, sa perte d'audience réduit le degré de cette collaboration.

A la décharge des modernes prélats, aucun évêque n'a prononcé, semble t'il, de discours particulier de louange lors des dernières élections présidentielles à la gloire du vainqueur. Mgr Gerlier n'avait pas eu cette retenue. Mais, lors de précédentes éditions, plusieurs évêques ont prononcé de véritables réquisitoires contre un candidat malchanceux, réquisitoires qui équivalaient à une adhésion enthousiaste à un mouvement d'extrême-gauche révolutionnaire.

Le christianisme ne peut se lier à une quelconque société civile [5]. Il ne peut s'incorporer à un ordre établi qui sera dénoncé demain. Parce que le christianisme n'est pas de ce monde.

Ignorer ce précepte central du message du Christ, démontré de plus par deux mille ans d'histoire, c'est se condamner à la néantisation.


Notes et Références



[1] http://resea-ihc.univ-lyon3.fr/publicat/bulletin/sommaires.html

[2] Le 11 novembre 1940, le futur député Alain Griotteray manifestera avec une vingtaine de camarades à l'Arc de Triomphe. Ils n'avaient pas entendu l'appel du 18 juin qui n'a d'ailleurs été que très peu entendu.
[3] Comme exemple typique, le World Socialist Web Site indique en commentant le film de Max Ophuls, "Le Chagrin et la Pitié" :
"Ceci explique comment, lorsque les troupes d'Hitler saisirent la France en juin 1940 il n'y eut pas de résistance organisée de la part de la classe ouvrière. Le PCF, quoique menant une existence clandestine, ayant été proscrit en septembre 1939 par le gouvernement de Daladier, ne tenta nullement de s'opposer aux forces d'occupation ni au gouvernement de Vichy. En fait, le PCF, plus à droite que de Gaulle, accusa ce dernier de collaborer avec les anglais. Le PCF ne commença à s'intéresser à la Résistance qu'un an plus tard en juin 1941, quand l'Allemagne envahit l'Union Soviétique."
Citation de la page  http://www.wsws.org/francais/hiscul/2001/sept01/16aout01_m0phuls.shtml

[4] Le Pape Paul VI, le Concile n'étant pas encore achevé publie une Encyclique Ecclesiam Suam (voir son numéro 91)  qui souligne bien cette distance que l'Eglise doit garder avec la société politique en dialogue ou pas. De nombreux responsables de l'Eglise ont largement méconnue cette analyse qui les engageaient pourtant.

[5] Il faut cependant intégrer l'enseignement de Paul VI qui souligne la nécessité de ne pas aller a monde de l'extérieur de celui-ci, mais vraiment de l'intérieur. Voir notamment Ecclesiam Suam, (voir son numéro 90, second paragraphe) :
On ne sauve pas le monde du dehors ; il faut, comme le Verbe de Dieu qui s'est fait homme, assimiler, en une certaine mesure, les formes de vie de ceux à qui on veut porter le message du Christ ; ..."