Campagne présidentielle 2017 - Entre deux tours (3)

Philippe Brindet - 03.05.2017

1 - La presse servile entre haine et flagornerie

Dans cette campagne, un aspect est souvent souligné par les commentateurs. La presse politique est, dans son immense majorité, acquise complètement à Emmanuel Macron, paré des vertus les moins contestables et crédité de toutes les meilleures intentions du monde. Et dans le même temps, les journalistes politiques ressentent une haine parfaite et un mépris viscéral pour Mme Le Pen, chargée de toutes les vilenies et accusée de vélléités attentatoires aux bonnes moeurs, disons politiques.

Ce dont ces pauvres types ne se sont pas rendus compte, c'est que, pour des gens simples comme moi, un peu de calomnies sur Mme Le Pen et un peu de flagorneries à l'encontre de M. Macron servaient efficacement les ordres que la presse a reçu de ses propriétaires - comme Bergé, Pigasse, Niel ou Arnaud. Je détestais Mme Le Pen, sans toujours comprendre pourquoi et je trouvais bien sympathique ce petit jeune de Emmanuel ... sans pour autant oublier les énormes stupidités qu'il proférait du temps qu'il était ministre ou encore conseiller du calamiteux Hollande [1].

Tout est question de mesure. La peur prospective de la victoire de Mme Le Pen a manifestement affolé les patrons qui veulent absolument que leur laquais, Macron, soit élu président, pour accroître encore leur impunité dans leurs prédations politiques, économiques et sociales. Ils ont dû réunir leurs salariés journalistes et les secouer en leur promettant les pires sévices s'ils ne parviennent pas à ruiner la réputation de Mme Le Pen.

Lundi soir, j'ai suivi les interviews de Macron et de Le Pen tant sur TF1 que sur A2. Bouleau de TF1 et Pujadas de A2 étaient agressifs et sacarstiques avec Mme Le Pen, sympathiques et serviles face à Macron. Cela amusait presque.

Mardi soir, j'ai suivi l'interview de Mme Le Pen sur TF1. Gilles Bouleau y est apparu d'une haine absolue à son encontre. Mais ce n'était plus le sentiment dominant à la fin de l'interview. Muet, Bouleau subissait l'ascendant de Mme Le Pen et il semblait éprouver une véritable terreur.

Que s'est-il passé ?

2 - Un discours qui transperce le blindage médiatique

Il semble que lundi, Mme Le Pen ait prononcé un discours devant ses sympathisants. Ce discours aurait pu être simplement mentionné dans la presse, mention simplement accompagnée des habituels commentaires calomnieux dont la presse française se fait une spécialité. On y aurait à peine pris garde.

Mais les puissants qui nous dirigent en ont décidé autrement. Ils ont remarqué que le discours de Mme Le Pen comprenait un passage plagié d'un discours de François Fillon. Ils ont alors exploité cette faute "morale" en diffusant à longueur de journée, aussi bien dans la presse écrite, Figaro et Monde notamment, que sur les radios et la télévision les "preuves du plagiat". Nous avons été abreuvés de cris effarouchés, de "copié-collés", de superpositions de citations, que sais-je encore.

Sommés de s'expliquer sur ce "crime", les membres du parti de Mme Le Pen ont répliqué, guoguenards, que "c'était un clin d'oeil".

Personne ne s'est méfié.

Pourtant, au cours de la journée, un politicien de droite souverainiste, ancien compagnon de Chevènement lors des luttes contre Maestricht, Paul-Marie Couteaux a expliqué cette affaire. Ila écrit un livre qui contient les citations tant de Fillon que de Le Pen. Pourquoi les deux politiciens ? Parce que c'est lui qui a écrit les deux discours !

Malheureusement, les mains tremblantes d'excitation, certain de "détruire" Mme Le Pen, Bouleau démarre l'interview qu'il conduit à la fin du 20 Heures de TF1 en faisant défiler les "preuves du plagiat d'un discours de Fillon". Manifestement, Mme Le Pen le contemple assez satisfaite. Muré dans sa haine, Bouleau ne se rend compte de rien. Il défile même sans la comprendre une intervention de Couteaux qui explique la partie émergée du piège.

Mme Le Pen "endort" alors Bouleau en expliquant à nouveau le clin d'oeil à Fillon et à son électorat. Ce faisant, elle fait un grand coup d'appel des Fillonistes trahis par leur candidat deux minutes après l'annonce de résultats partiels. Elle leur rappelle cette stupidité politique en leur expliquant que eux aussi ont le droit d'exprimer leur amour de la France en votant pour elle contre l'européiste Macron.

3 - Le coup au but

C'est quelques secondes après. Bouleau comprend qu'il vient d'offrir un espace à Mme Le Pen pour qu'elle passe un appel aux fillonistes. Il tente de reprendre le contrôle pour l'empêcher de poursuivre en la ramenant au "délit de plagiat". Et Mme Le Pen tire alors son coup au but. Elle lui explique froidement qu'elle connaît trop les défauts des journalistes, que grâce à cette ruse, toute la journée la presse haineuse a parlé d'elle et de son discours, que une fraction essentielle de celui-ci est passée en boucle toute la journée ce qu'elle n'aurait jamais obtenu par les moyens normaux.

Et de fait, les français ont pu constater que sa position nationaliste est exactement la même que celle de Fillon ou du moins de la majorité de ses électeurs. Ces derniers découvrent cette quasi - identité et, plus encore, le fait que la presse cache le véritable discours de Mme Le Pen.

Le coup de Mme Le Pen ne sert absolument pas à "conforter" ses électeurs. Il sert à convaincre les autres, trompés par la présentation systématiquement haineuse de ses positions politiques.

Un coup de toute beauté.

4 - Le coeur du programme Le Pen

Bouleau va encore essayer de "perdre" Mme Le Pen dans l'esprit des télespectateurs en l'accusant de n'avoir aucune politique sérieuse avec ses tergiversations sur la monnaie unique ou le retour au franc.

Mme Le Pen refuse de se laisser enfermer dans le "détail". Elle répète alors le coeur de son programme établi sur les quatre souverainetés, ce qu'elle dit depuis le début, selon un article du Monde, depuis le début de février 2017 - et le lui fait remarquer :

La candidate du FN a prévu de se rendre à Bruxelles « pour enclencher la négociation sur le retour des quatre souverainetés : monétaire, législative, budgétaire et territoriale »
Mme Le Pen avec une clarté et une concision remarquables va les détailler.

La souveraineté législative consiste à donner la priorité aux lois nationales sur les directives de Bruxelles. Le terme est mal choisi, parce que si les "directives" sont un problème, les "réglements européens" sont une catastrophe pour la souveraineté législative. La directive contraint la législation nationale à s'adapter plus tard, le réglement est prioritaire sur la loi nationale. Mais, nous avons tous compris le sujet.

La souveraineté budgétaire consiste à utiliser la dépense publique au profit des PME françaises. C'est vers elles que l'Etat se tournera d'abord pour réaliser la dépense publique alors qu'aujourd'hui, ces PME sont écartées par l'obligation de l'Etat français de s'adresser au mieux-disant européen, qui fait alors une concurrence déloyale à la PME française.

La souveraineté territoriale restaure les frontières extérieures de la France, qui décide librement des hommes, des marchandises et des capitaux qui les traversent et non plus une institution européiste sans consistance démocratique.

Enfin, la souveraineté monétaire, sur laquelle elle était attendue comme sur un piège, se développera avec deux monnaies : un euro réservé aux échanges internationaux entre grandes entreprises et banques centrales, banques et institutions internationales, un franc destiné aux français sur leur marché intérieur. L'euro ne sera plus dès lors une monnaie "unique", mais une monnaie "commune", tandis que la maîtrise du franc permettra à l'Etat d'adapter le commerce français aux réalités économiques et financières au lieu de laisser cette régulation à une manque européiste à Francfort.

5 - L'effet ravageur de cette interview

Le lendemain, la presse a fait disparaître toute glose sur le thème du plagiat. Bien entendu, l'interview de Gilles Bouleau et les répliques de Mme Le Pen sont ignorés.

Mais à la fin de l'interview, le visage de Gilles Bouleau trahissait une véritable peur. Il peut craindre son sort médiatique, parce que ses patrons ne lui pardonneront pas le formidable porte-voix qu'il a - à son corps défendant - offert à Mme Le Pen.

Il est impossible d'estimer le choc de cette interview. Mais, on peut penser que les indécis ont reçues des informations politiques de première importance pour les pousser à porter leurs voix sur Mme Le Pen.

Pour les autres, les manipulations de la presse politique sont un peu davantage dévoilées.

J'en suis enchanté.


Notes

[1] C'est le sentiment de Régis Debray dans un interview publié le 3 mai 2017 dans Le Monde :

"La culpabilisation des hésitants, le « tenez-vous correctement » lancé trois fois par jour par les rédactions unanimes et tout ce qui compte en France semblent aussi contre-productifs que le chorus du oui avant le référendum européen. Cela peut donner de l’urticaire."
Retour au texte