Quelques réflexions de Pâques autour du pape François

Philippe Brindet - 05.04.2015

Interrogations au sujet du pape François

Le défaut absolu de classicisme du pape François pose à l'analyste de sérieux problèmes. En effet, l'imprévisibilité de ses actes et de ses déclarations fait craindre le démenti de la moindre analyse.

Ma première remarque porte justement sur les actes du pape François. Alors qu'il est perçu comme progressiste en paroles, ses actes sont politiquement prudents et même rares. Et dans leur rareté, plusieurs de ces actes peuvent être mis au compte de comparses ou d'influences comme le cardinal Kasper. ou l'évêque Forte. On peut citer cependant plusieurs décisions qui sont d'une brutalité remarquable comme la mise à l'écart du cardinal Burke ou de quelques évêques en France (Mgr Le Vert), en Allemagne (Mgr Tebartz-van Elst) ou au Paraguay (Mgr Plano). On citera ensuite la mise en place de commmissaires dans des congrégations religieuses (Franciscains de l'immaculée) dont l'avenir est du coup vraiment obéré. Pour le reste, si l'on excepte la formation de commissions ou organismes du même genre, qui font rire, on pressent une réserve, une "prudence", qui semblent montrer que le pape François et son groupe de soutiens sont encore tout étonnés d'avoir réussi à prendre le pouvoir. Et pratiquement, on a fait le tour des actes du pape François.

Quant aux déclarations du pape François, elles se répartissent entre déclarations lénifiantes, ressortant de l'expression hispanisante d'une foi traditionnelle doloriste agitant la peur du péché, et formules à l'emporte-pièce, dénotant chez leur auteur un sens de l'humour adolescent, destiné à hérisser les grandes personnes. C'est parfois amusant. C'est rarement édifiant.

C'est très bien d'effaroucher les grenouilles de bénitier. Le problème du pape François, c'est qu'il n'y a plus depuis longtemps de bénitier et que les grenouilles qui y gîtaient sont aujourd'hui l'objet d'études de la paléontologie. C'est dommage que le pape François ne se soit pas promené incognito au porche des églises pour connaître cet état de fait plutôt que de s'intéresser aux concerts pop et aux "marges".

Le pape François est avant tout un homme inflexible

En revenant aux institutions et personnalités sanctionnées, elles sont toutes très clairement dans le mouvement de renouveau traditionnel qui, sans remettre en cause la théologie instaurée avec le Concile Vatican II, a tenté d'écarter le spectre de la compromission avec le monde. Cette sanction répétée, et le sens toujours le même des foucades du pape François, montrent assez l'orientation déterminée du pape François et de ses soutiens.

Dans un ouvrage récent, publié en Allemagne (voir par exemple dans The Washington Post), le cardinal Kasper qualifie la théologie du pape François de "Révolution de la tendresse et de la miséricorde". Dans l'esprit de Kasper, l'union de deux contraires, l'inflexibilité d'une révolution et la mièvrerie de la tendresse, est destinée à interdire toute critique de cette théologie. Si vous la mettez en cause pour sa violence, on vous rétorque que vous haïssez l'Amour, et si vous vous plaignez de sa mièvrerie bourgeoise, on vous placera devant la violence de la Révolution, destinée à détruire tout ordre ancien.

Parce que, les catholiques devront se faire une raison. Le pape François n'est pas un homme compatissant. C'est un homme inflexible qui ne pardonne jamais à qui s'oppose à lui. Et les hommes dont il s'est entouré sont, comme tous les révolutionnaires de toutes les révolutions, inscrits dans une compétition sans merci. Pour survivre dans une révolution, il faut être plus inflexible et plus efficace que ses proches. La survie est à ce prix.

La "théologie" du pape François

Définir la théologie d'un pape est une chose difficile. Mais, on peut s'accorder sur le fait que la pape François a fait de nombreuses déclarations qui se lisent dans une réelle continuité avec les papes précédents. Le pape émérite Benoît XVI l'a déjà plusieurs fois assuré de sa soumission fidèle.

D'autres déclarations ont été formellement identifiées par diverses parties du débat comme ressortant du progressisme. Ainsi, la volonté politique du pape François d'ouvrir l'Eglise en tant qu'institution au reste du monde et aux autres religions, est très semblable au souci d'ouverture qui avait présidé au Concile dans son aile progressiste. La méfiance que le pape François manifeste à l'encontre des catholiques pratiquants quand il réserve son intérêt aux gens hors l'Eglise ou même appartenant à d'autres religions, sont aussi caractéristique d'une volonté de parvenir à une fusion entre l'Eglise et le monde, qui caractérise la majorité des courants progressistes, dans lesquels le holisme est essentiel.

Une autre tendance manifeste de la théologie du pape François se révèle dans sa sympathie aux réalités qui relèvent d'une déviance ou de la violation d'un précepte quelconque. Cette sympathie se fonde sur une réelle empathie pour les êtres humains qui souffrent de ces déviances, empathie telle qu'ils se trouvent placés du fait même du principe de midéricorde qu'à récemment théorisé le cardinal Kasper, au centre même du catholicisme du pape François.

Or, depuis toujours, le progressisme utilise justement les êtres humains comme centre et moyen de son activité. La position d'ouverture du pape François sur les questions marginales des divorcés ou des homosexuels le conduit à placer l'immoralité au centre du catholicisme alors que son centre et son horizon est en réalité le Seigneur Jésus-Christ. Mais, cette modification radicale à partir du catholicisme natif de Benoît XVI correspond au mouvement même de la révolution progressiste qui consiste à renverser un ordre social ancien par la mise en perspective centrale de la perversion. Dostoievski a écrit des pages définitives sur cet aspect fondamental du progressisme dans Les Possèdés.

La réaction

Si vous exceptez quelques rares personnages comme le cardinal Burke, écarté d'ailleurs de tout rôle dans l'Eglise, la "réaction" dans l'Eglise est quasiment nulle. Malgré ce fait connu, la presse progressiste dénonce l'existence fantasmique d'une majorité conservatrice qui "empêcherait" l'esprit de "réforme" du pape François.

Or, en examinant froidement la situation, le nombre d'opposants déclarés est sûrement inférieur à dix. Récemment, on a pu apprendre les critiques du cardinal Sarah (Lire Dieu ou rien, avec Nicolas Diat, Fayard, 424 pages) dont on peut imaginer que les jours sont comptés. Et son opposition très mesurée est toute à son honneur. D'autant qu'il connaît le mépris dans lequel le cardinal Kasper tient les ecclésiastiques africains.

Plusieurs ecclésiastiques, comme le cardinal George, ont souligné récemment que l'Eglise n'était pas assimilable à une organisation civile. Que l'idée de la polarisation "droite - gauche" était inapplicable. Aussi, l'absence d'action d'une "réaction" n'est donc pas vraiment étonnante.

Que va t'il se passer ?

Pour répondre à cette question, l'Histoire peut nous informer utilement. Il faut cependant se souvenir que l'Histoire ne se répète jamais, tandis que dans un autre point de vue, il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Evoquons deux expériences historiques.

En 1791, la France monarchique avait établi une Eglise catholique constitutionnelle dont le fonds théologique était bien proche du progressisme actuel. La comparaison de leurs traits communs exige une étude à part. Mais, malgré l'adhésion d'une proportion notable du clergé, le peuple chrétien est largement resté étranger aux conceptions du clergé jureur. Ce clergé avait participé à la fermentation des idées progressistes et son action avait à la fois produit la Révolution et conduit à une "réforme" de l'Eglise. Cette "réforme" se trouve largement formalisée dans la Constitution civile du clergé et la théologie du pape François en est étrangement proche.

Pendant dix ans, les "progressistes"de 1791 vont à la fois persécuter les catholiques fidèles et tenter de produire une Eglise renouvellée qui prétendait retourner à la "pureté" des origines. La persécution de la "théologie d'avant" et la promotion d'un prétendu renouveau retournant aux "origines" évangéliques sont aussi au coeur de la réforme du pape François.

Les églises du clergé constitutionnel se sont instantanément vidées. Les catholiques ont simplement attendus que le culte en vérité soit restauré.

Moins de deux siècles plus tard, le Concile Vatican II se tient et une faction progressiste affronte alors une majorité d'ecclésiastiques qui s'interrogeait sur la raison qui l'avait fait se rassembler. Devant l'exposé de thèses progressistes, la majorité va tenter d'obtenir une expression catholique de vérité. Et le cardinal Kasper qui a assisté comme expert à ce Concile a décrit avec une grande acuité l'accumulation d'assertions antinomiques dont les textes concilaires sont remplis et qui ont permis le vote de ces textes.

Le résultat a été clair. Les catholiques ont largement désertés les églises parce que on y appliquait les thèses progressistes. Les statistiques sont parfaitement claires et le clergé progressiste incrimine la sécularisation à laquelle il travaille de concert avec le progressisme social alors même qu'il appelle cette sécularisation de ses voeux.

Le travail de Saint Jean-Paul II et celui de Benoît XVI a été de réduire les thèses progressistes pour laisser vivre la vérité. On a pu noter alors localement un certain retour des hommes et des femmes à la religion catholique.

Ces deux événements peuvent nous aider à formuler une hypothèse. Le triomphe du progressisme caractéristique du pape François et de son équipe produira une désertion accélérée des églises partout où cette ligne sera suivie. Et, il nous semble que cette désertion est recherchée naturellement par le le progressisme en tant qu'il est radicalement une sécularisation, une union du monde et de l'Eglise

La foi sera t'elle perdue ?

C'est la grande interrogation, l'angoissante question qui remonte à l'origine même du christianisme. "Le Fils de Dieu quand Il reviendra en majesté, trouvera t'il encore la foi sur la Terre ?"

Pour répondre à cette interrogation, il faut considérer que, si la thèse progressiste triomphe à Rome, elle reste largement étrangère en Afrique et en Asie. Ensuite, en Occident, la culture a longtemps associé la soumission au pouvoir et l'obéissance à l'Eglise, de sorte que trop d'ecclésiastiques obéissent aujourd'hui à l'autorité progressiste alors même que leur foi proteste des violations répétées commises par le progressisme.

Mais, il leur faudra intégrer que, si au XVIIIe siècle, l'autorité ecclésiastique pouvait encore requérir le bras séculier pour frapper la désobéissance ecclésiastique, le progressisme ecclésiastique ne dispose plus de ce pouvoir. Les condamnations spirituelles enfin perdent leur force dès lors même qu'elles ne sont pas fondées en vérité.


Revue THOMAS (c) 2015