La contestation de la Loi Taubira

Philippe Brindet - 6 mai 2013

Très peu réceptif à la dialectique de l'égalité des droits, la contestation de la loi Taubira ne me laisse pas cependant sans interrogation.

Comme le fait remarquer un commentateur, les "catholiques" n'ont réalisé que deux protestations dans les trente dernières années : contre le service public unifié d'éducation nationale et contre le projet de loi Taubira de mariage pour tous. Le service public unifié a formellement reculé, mais en réalité il a été appliqué largement, le personnel enseignant s'étant, même si les statuts restent différents, s'étant largement unifié au plan de la formation et des programmes. Les catholiques n'ont quasiment manifesté contre aucune autre avancée sociale : divorce, avortement, contraception, égalité homme-femme, etc.

La loi Taubira, à la différence, est passée. Une contestation catholique relativement importante se poursuit, jouant sur le Conseil Constitutionnel pour obtenir un rejet de la loi. Ou sur une crainte du pouvoir qui retirerait la loi. Celà s'est vu, veulent croire les opposants tenaces.

A ceci près, on se demande si la poursuite d'une véritable contestation est dans la nature du catholicisme social. Mais de quel catholicisme est-il question ?

Deux catholicismes ennemis contestent la même loi.

Depuis un siècle, il existe très clairement deux catholicismes. Le premier est extrêmement marginal. Il comporte les traditionalistes et autres intégristes, socialement attachés au passé. Le second provient d'un conservatisme politique, étroit et provincial, petit-bourgeois et casanier, mais qui a hérité de l'"esprit de Vatican II". Il s'agit donc d'une monstruosité politique : le progressisme conservateur.

Les manifestations passées contre le projet de loi Taubira ont montré l'identité conservatrice des deux catholicismes. Mais cette identité ne les a pas en fait rapproché. Quand ils manifestaient le même jour, ce n'était pas au même endroit. Et l'horreur suprême aurait été qu'un de leurs meneurs se montra à la tribune des "autres". La chose ne se produisit pas.

Or, quelle est leur motivation à contester la loi Taubira ?

Les intégristes et les progressistes - et nous rappelons que c'est de catholiques que nous parlons - partagent en réalité une répulsion phobique - et là, c'est réellement au sens médical, psychiatrique du terme, de peur irrationnelle, remontant de la nuit de l'humanité - à l'égard de l'homosexualité.

Ici, il faut souligner une bizarre déviation contemporaine du mépris affiché à l'égard de la peur. C'est dommage parce que la peur est essentielle à la sauvegarde de la vie. Mais, cette stratégie conduit à ce que, quand votre adversaire refuse quelque chose que vous voulez qu'il fasse, vous agitiez cette peur pour vous moquer de lui . Le brave homme, ému de laisser croire qu'il n'a pas de courage, puisqu'il aurait peur, proteste qu'il n'a pas peur. Il a perdu le débat.

Les promoteurs du mariage homosexuel ont d'abord voulu se moquer de l'homophobie des cathos. Et pour une fois, çà n'a pas marché. Les "cathos" sont devenus littéralement enragés. Effrayés, les homophiles en rempoché leur sarcasme. Mais, la réaction viscérale des "cathos" à l'encontre de l'homosexualité s'est alors librement donnée libre cours.

On peut souligner une certaine différence entre les "intégristes" qui haïssent ouvertement les homosexuels, "ces pervers", et les "progressistes" qui pensent que l'homosexualité est une indignité face à l'hétérosexualité. La différence vient de ce que l'homosexualité pour les "intégristes" est une perversion quand les homosexuels ne sont que de pauvres malades que la religion a le devoir de secourir pour les "progressistes". Passons.

Bien entendu, les "progressistes" hurlent que c'est une atteinte à leurs droits, et ils ne précisent pas lesquels, de les traiter d'homophobes puisqu'ils ont le devoir "d'aimer les pauvres et les homosexuels". Mais, la réalité de la pensée catholique est simple :

L'homosexualité est une abomination et les homosexuels doivent être éliminés. C'est dans la Bible. Point. Il n'y a pas à revenir là-dessus. D'ailleurs, c'est proprement dégoûtant cette histoire de perversions. Et on ne peut en parler sans se salir.

La force inconsciente de la répulsion de l'homosexuel est tellement importante que chez les cathos, même les "progressistes" ne peuvent parler d'homosexualité. Ils sont contraints de parler d'une mystérieuse "atteinte à la dignité du mariage", ou du droit des enfants "à avoir un papa et une maman" et autres fadaises qui feraient honte à un homme de bon sens.

Plusieurs commentateurs effarés ont tenté de rappeler que ce n'était pas du mariage "religieux" qu'il était question, mais seulement du mariage civil qui ne concerne en rien la religion, fut-elle catholique. La réaction progressiste a été fulgurante : ils se sont mis à invoquer la "loi naturelle". Ils voulaient dire que tout le monde, même hors de la religion doit s'y soumettre. Mais la raison pour laquelle seuls les cathos la percevraient reste mystérieuse.

Mais, si on s'attarde sur le vide intersidéral de la réflexion contestataire, on se rend compte que le problème est celui du rejet irrationnel de l'homosexualité. Pour un "catho", qu'il soit intégriste ou progressiste, il n'y a qu'une seule réflexion : "l'homosexualité ? C'est horrible !". Allez convaincre après celà !

Il me semble que les puissants qui nous gouvernent, probablement mal informés par les promoteurs de la loi Taubira qui travaillent sur le sujet depuis plusieurs années, n'ont pas perçu qu'une majorité de la population est animée par un rejet viscéral et, à ma connaissance, ignorée des sociologues et autres anthropologues, de l'homosexualité en général et des homosexuels en particulier. Il me semble que sur la base de ce tabou totémique de la haine de l'homosexuel, la contestation de la loi Taubira pourrait ne pas s'éteindre avant longtemps. Il est même à souhaiter qu'elle en reste à ces "aimables" manifestations de ces cadres en tee-shirt roses et de ces "diablesses" en bonnets phrygiens, l'air rigolard et parfaitement épanoui que donne une chère abondante et équilibrée dont le clou s'achète à la sortie de la messe du dimanche chez le pâtissier devant l'église.

La contestation catholique peut elle s'étendre ?

Sur le constat d'une haine viscérale, on peut craindre le pire. Mais, il faut tenir compte d'une constante chez les catholiques français. Ce sont des gens "bien" d'une part et ils ont une seule véritable religion, celle de leur perfection, d'autre part.

Or, lors d'une débauche rapide et furtive, les gens "bien" peuvent se livrer à un instant de folie. Bien vite, tout rentre dans l'ordre. Le lundi, on va faire son devoir, et le dimanche, on se repose en allant à la messe et en mangeant la pâtisserie de la sortie. La vie est ainsi réglée et il est hors de question d'en changer. "'Nos pères vivaient ainsi."

Un facteur caché de contestation des gens "bien" ?

On voit très mal les gens "bien" renoncer à ces innocentes traditions qui ne gênent personne et qui enrichissent les pâtissiers. D'où l'idée qu'il a fallu plus qu'une simple loi de la République pour mettre des amateurs de pâtisserie dans cet état. Et si la protestation contre la loi Taubira était la manifestation d'une contestation plus grave ?

Contre cette force d'insurrection du catholicisme que serait l'homophobie ou une autre chose plus cachée encore, il existe le mouvement de Vatican II. Parce que si le mouvement de Vatican II a d'abord été celui d'un clergé fatigué de se confire en dévotions dans des églises froides et sombres, il n'a pas été ignoré des fidèles. Et ce mouvement est définitivement celui d'une adhésion enthousiaste, totale, à la démocratie moderne et à l'Etat-Providence, facile substitut à un Dieu autrefois Tout-Puissant et maintenant préféré "pauvre" et "compagnon d'humanité". Plus guère gênant. Alors, vous savez, la condamnation biblique de quoi que ce soit, les cathos s'en fichent à peu près complètement.

L'Eglise rénovée du Concile Vatican II est radicalement républicaine et gay

L'immense majorité du clergé est acquise à cette démocratie, même la plus avancée. Il encadre des fidèles de moins en moins nombreux, mais de toute façon, de mieux en mieux démocrates et même socialistes. Il suffirait que l'Etat-Providence fasse un petit geste financier à destination des familles, sans même marquer une préférence religieuse, laïcité républicaine oblige, et tout rentrerait probablement dans l'ordre.

Avec le probable retour à l'ordre républicain, le conformisme démocrate des progressistes sera évident. Mais, il y a plus. Il est évident qu'une fraction importante, probablement au pouvoir dans l'Eglise de France, est d'une façon ou d'une autre homosexuelle, gay pour être plus précis. Et dans la population des cathos progressistes qui défilent contre la loi Taubira, on voit mal des bigots qui tous les dimanches ont chanté qu'ils "ont dansé en battant des mains devant Toi sous l'influence de l'Esprit", refuser d'aller au mariage de Jean-Guy et de Daniel-Eudes. Au retour, ils ne risquent plus de manifester contre la loi Taubira !

L'immense tartufferie de cette mascarade d'opposition au mariage homosexuel est que, à côté d'une homophobie inconsciente, le milieu catholique progressiste est ouvertement homophile et largement homosexuel. Il suffit de rechercher les appartenances de l'art d'église promu depuis le Concile. Bien entendu, la situation est radicalement opposée dans la fraction du catholicisme intégriste, même si des surprises ne sont pas à exclure. Mais leur rôle est considérablement réduit par leur faiblesse numérique.

Mais, l'adhésion enthousiaste de l'Eglise de France, rénovée il y a déjà longtemps, à la République nous indique les limites de la contestation. Il n'est pas possible de percevoir une mise en cause du pacte républicain, même dans les outrances langagières des meneurs de la réaction. Votée, la loi Taubira est une loi de la République et on ne voit pas que l'Eglise de France ait une quelconque intention de se dresser contre une quelconque loi de la République dont elle est un soutien inconditionnel. Si quelques excités protestent encore, emportés par les ardeurs du printemps, leurs curés vont vite les rappeler à l'ordre. Quant aux autres, l'été les rendra aux joies saines des vacances.

L'avenir sera le résultat d'un équilibre en "homophobie viscérale" et "ouverture au monde"

Le catholicisme a toujours été le lieu de toutes les audaces sociales à condition que seules les bonnes personnes soient visibles. Derrière, on fait ce que l'on veut. Il y a la confession, les pélerinages. On sait que çà coûte cher aussi, et que çà ne réussit pas toujours (Jules Renard). La contestation de la loi Taubira serait de cet ordre : rendre visible les "bonnes personnes" qui, elles défilent contre l'abomination.

Malgré une incertitude, on peut donc penser que la loi Taubira va servir aux cathos progressistes. Qui ne s'opposeront plus à elle.


Revue THOMAS (c) 2013