Note de lecture - "1848" de Georges Duveau

Philippe Brindet
11 octobre 2010
Georges Duveau fut un activiste français des années 30 qui mourut assez jeune. Militant de la cause ouvrière, il fait partie des fondateurs du Maitron, mais aussi avec Mounier du mouvement Esprit. Résolument acquis à la cause socialiste, au sens le mieux "bourgeois" du terme, il a des nuances intéressantes cependant.

Son "1848" aurait été édité de façon posthume, à la déclaration de l'éditeur Nrf (collection Idées, 1965).

La Révolution bourgeoise de 1848 présente des traits particuliers à plus d'un titre. Elle est la dernière Révolution commencée sous un règne monarchiste. Elle précède d'à peine deux ans la publication du Manifeste du Parti Communiste et de quelques années l'avènement du Troisième Empire, de la Guerre de Sécession aux Etats-Unis, de la Guerre franco-prussienne et de la Commune de Paris.

Héritière de la Révolution de 1789, elle suit la Révolution de 1830. Entre Février et Juin, à raison d'une émeute parisienne par mois, ou peu s'en faut, elle va représenter en quatre mois les dix ans de la Révolution française comme une pièce de théâtre. Commencée avec l'élan révolutionnaire des sociétés secrètes qui étaient profondément liées avec les ouvriers des banlieues parisiennes, elle se termine dans le sang sous la dictature militaire d'un Cavaignac solidement assis sur les boutiquiers du Palais-Royal, enrôlés dans la Garde Nationale.

Duveau parcourt sans insister la chronologie de ces Journées. Il insiste plus sur les portraits assez peu flatteurs des animateurs de cette Révolution que sur le déroulement. De plus, Duveau confond - et ce n'est pas une confusion, mais probablement un véritable point de vue - la Révolution de 1848 que de nombreux auteurs limitent aux Journées de Février, avec les débuts de la II° République. En Décembre 1848, un président de la Deuxième République est élu au suffrage universel, Louis-Napoléon Bonaparte, sur lequel Duveau est des plus laconiques.

Mais en Février, le "grand" homme est un poète, Alphonse de Lamartine qui va venger par son ridicule la mémoire des assassins vilipendés d'un autre poète, André Chénier. Les deux poètes semblent d'ailleurs animés exactement des mêmes idéologies.

Duveau n'est pas très disert non plus sur le nombre de victimes. Il confirme cependant que les ouvriers pris sur les barricades ont été systématiquement fusillés sur place après un simulacre de procès. "Pas de pitié pour les ennemis de la Révolution ...". Marx saura très bien exploiter ce grand classique des révolutions socialistes [1].

Sur Mgr Affre, qui tomba victime probablement d'une balle perdue tirée par un bourgeois - les archevêques de Paris ne se méfient en général pas assez des bourgeois à Paris ... - n'a le droit qu'à un seul thuriféraire, le transsexuel [2]Daniel Stern, libre-penseur et bouffe-curés. Il est vrai que l'insupportable guimauve ecclésiastique ne fait pas un bon panégéryque dans les livres d'Histoire et que Duveau n'avait pas d'autre grand choix.

Dans les débuts ou les prolégomènes de la Révolution de 1848, Duveau cite les banquets socialistes. Ce fut par l'interdiction de Guizot, premier ministre de Louis-Philippe, que tout se déclencha. Duveau cite un banquet typique, à Rouen et non pas à Paris, mais qui fut décrit par un Flaubert littéralement exaspéré par l'immonde soupe de ce genre d'activisme, les ouvriers en silence debout derrière les chaises des bourgeois dîneurs, écoutant pérorer les orateurs, bourgeois eux aussi [3].

La galerie de portraits des animateurs de "1848" est particulièrement suggestive. Marrast, Crémieux, Cavaignac, Louis Blanc, Lamartine, Blanqui, Cabet, Ledru-Rollin, les Garnier-Pagès, Maris, Buchez, ... Aucun ne trouve grâce sous la plume de Duveau qui les connaissait bien et était de leur camp.

Un fait est suggestif. Pour Duveau, les élections de 1848 ont été le triomphe de l'action citoyenne du curé qui entraînait ses paroissiens, bannières en tête,, à la ville où il fallait "bien voter". Le rassemblement se faisait à la sortie de la messe, le jour de Pâques 1848. Et quand les socialistes contraints à choisir cette date peu favorable pour les anti-cléricaux, ils furent presque surpris que les catholiques avaient en majorité soutenu l'anti-cléricalisme. Comme toujours.

Duveau note que :
"Quarante-huit se présente sous un double aspect, catholique et maçonnique."

En réalité, les catholiques étaient largement franc-maçons. Par ailleurs, Duveau note que les Israélites qui avaient soutenu la monarchie de Louis-Philippe, comme Rotschild, cédèrent simplement la place à des Israélites plus socialistes,

Duveau fait un sort intéressant aux Ateliers nationaux. Beaucoup d'économistes leur a reproché de tendre à prendre l'activité économique des mains des particuliers pour les placer sous l'autorité de l'Etat. Duveau n'infirme pas cette thèse, d'autant qu'il pense que l'Etat doi contrôler l'activité publique, donc l'économie. Mais, il complète le panorama en expliquant que les Ateliers nationaux ne pouvaient qu'échouer parce qu'ils étaient un mauvais travestissement de l'idée de Louis Blanc, qui voulait des Ateliers sociaux, et qu'ils étaient en réalité des successeurs sans imagination des sociétés de charité. Les boutiquiers ne voyaient dans les Ateliers nationaux qu'un ramassis de fainéants improductifs.

Le socialisme utopique de "1848" débouche sur l'impérialisme de Bonaparte et son anticléricalisme sur la défense militaire des Etats pontificaux de 1849. Engels pouvait plus tard mépriser le socialisme utopique [4] confronté à la "grandeur" du socialisme scientifique !

o o o


Notes

1 L'article Wikipedia cite un passage de Marx sur les Journées de Février :
« Le 25 février, vers midi, la République n'était pas encore proclamée, mais, par contre, tous les ministères étaient déjà répartis entre les éléments bourgeois du Gouvernement provisoire et entre les généraux, banquiers et avocats du National. Mais, cette fois, les ouvriers étaient résolus à ne plus tolérer un escamotage semblable à celui de juillet 1830. Ils étaient prêts à engager à nouveau le combat et à imposer la République par la force des armes. C'est avec cette mission que Raspail se rendit à l’Hôtel de ville. Au nom du prolétariat parisien, il ordonna au Gouvernement provisoire de proclamer la République, déclarant que si cet ordre du peuple n’était pas exécuté dans les deux heures, il reviendrait à la tête de 200 000 hommes. Les cadavres des combattants étaient encore à peine refroidis, les barricades n'étaient pas enlevées, les ouvriers n'étaient pas désarmés et la seule force qu'on pût leur opposer était la Garde Nationale. Dans ces circonstances, les considérations politiques et les scrupules juridiques du Gouvernement provisoire s'évanouirent brusquement. Le délai de deux heures n’était pas encore écoulé que déjà sur tous les murs de Paris s'étalaient en caractères gigantesques?: « République française ! Liberté, Égalité, Fraternité ! » »
Karl Marx, in Les Luttes de classes en France


2 Rassurons le lecteur. Il s'agit d'une mauvaise plaisanterie. "Daniel Stern" à notre connaissance n'est qu'un simple nom de plume d'une aristocrate en mal de socialisme. C'est assez fraquent chez les bourgeois. retour au texte

3 Flaubert, Lettre à Louise Colet, citée par Duveau, page 14. retour au texte

4 Selon certains auteurs contemporains, environ 4500 insurgés furent déportés en Algérie, où ils contribuèrent à défricher la Mitija. Et les français donnent des leçons de tolérance aux Soviétiques. retour au texte

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