Le premier paragraphe de Caritas in Veritate Philippe Brindet 12 juillet 2009 |
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Les encycliques des Papes posent des problèmes de traduction. Dans une certaine mesure, il semble que le texte de base ou de référence devrait être le latin, qui est la langue de l'Eglise Catholique. Mais, on l'a déjà montré par exemple pour un passage de l'encyclique de Jean-Paul II "Ecclesia de Eucharistia vivit", les versions linguistiques présentées sur le site du Vatican ne semblent pas être de fidèles traductions d'un texte source. On a remarqué que les variantes entre les versions, et surtout le choix des différences significatives dans une version donnée, tendaient à indiquer des différences d'interprétation entre les diverses versions d'un même texte de base. La lecture rapide de la dernière Encyclique de Benoît XVI permet de relever le problème du rendu du mot "caritas" par les diverses versions. Par exemple, le terme clé de "caritas" n'a pas d'équivalent direct en allemand alors qu'il existe les mots de "charité" en français et de "charity" en anglais. En allemand, on utilise le mot "Liebe", souvent avec un préfixe qui permet de le particulariser à un aspect de l'amour. Par exemple, dans le langage courant, non directement théologique, le terme latin de "caritas" est traduit par "Nächstenliebe", littéralement "l'amour du prochain". La version latine, qui pourrait être le texte de référence, n'a pas été publiée par le Saint-Siège. C'est dommage. Cependant, même si le Pape peut travailler en latin, il est possible qu'il ait ici travaillé directement en allemand. Nous ignorons ce détail important pour tenter de dégager à travers l'étude des diverses versions ce qu'il faut penser de ce texte du magistère pontifical. On utilise les versions anglaise, française et allemande, publiées sur le site du Vatican. La première phrase de l'Ecyclique se présente ainsi :
La version anglaise utilise le terme de "charity" pour traduire l'expression d'introduction du texte latin inconnu. La version allemande utilise le terme de "Liebe" parce qu'il n'en existe pas d'autre satisfaisant en allemand. La version française utilise le terme d'"Amour" ce qui est dommage, parce que "Amour" et "Charité" ne sont pas en français strictement interchangeables. On remarque une autre différence entre les versions allemande et anglaise d'une part et la version française d'autre part. Le Pape indique ce qu'est la "caritas". "Une force dynamique" nous explique la version française. Mais c'est bien faible comme traduction. D'abord parce que d'accoler le terme de dynamique qui dérive du grec "dynamos", qui signifie tout simplement "force", n'apporte rien. Ensuite parce que si les versions anglaise et allemande utilisent toutes deux le terme de "force", avec "force" pour la version anglaise et "Antrieb" pour la version allemande, elles utilisent un qualificatif signifiant. Pour la version anglaise, il s'agit de l'adjectif "driving" qui signifie "motrice" ou "menante". Pour la version allemande, on peut même noter que la signification de "hauptsächliche Antrieb" est "moteur principal".
Les trois versions sont largement équivalentes. On note ici que les trois versions tendent à noter que l'amour dont il est question est un amour particulier, "l'amour - caritas" dit la version française. Cette spécialité ressort de la troisième phrase :
Les trois versions sont absolument identiques. Sur l'ensemble des trois premières phrases, on note que Benoïts XVI présente un concept d'Amour spécial, dénommé "charité" ou "amour - charité", comme une force qui agit sur l'homme et qui vient de Dieu. La version allemande utilisant à la seconde phrase, non pas "Kraft" comme dans la troisième phrase, mais "Antrieb", qui signifie "moteur" ou actionneur", souligne encore plus précisément ces caractérisations de la charité. On note que la caractérisation de la charité reprend presque une définition de la force lue dans la Physique newtonienne. Cette approche permet de mieux saisir le rôle de la raison dans la perception de l'Amour qui est trop souvent réduit à la simple perception psuycjhologisante d'un affect matériellement subi. Rien de tel dans le concept d'Amour développé par Benoît XVI, même si l'affect n'est pas écarté. La différenciation "Kraft" et "Antrieb" incite à prendre la version allemande pour le texte de référence. En effet, la nuance ne peut venir que du Saint-Père et elle s'est quelque peu affaiblie dans le texte anglais et pratiquement perdue dans la version française.
La quatrième phrase ne présente pas de différence entre les trois versions. On note l'intention du Saint-Père de considérer le bonheur (das Glück) quand les versions française et anglaise utilisent un terme plus distant de l'homme : le bien de l'homme qui a aussi le sens d'une possession économique, alors que "das Glück" désigne aussi la chance. Sur l'apport théologique, on note dans l'exposé du concept de "charité", la séquence rationnelle qui conduit à la compréhension de cet amour divin pour l'homme. Une fois la force motrice de la charité initiée par Dieu Lui-même vers le coeur de l'homme, cette force ne mobilise l'homme que s'il adhère au plan divin et s'il y adhère, il trouve sa propre vérité et la trouvant, l'homme trouve le bonheur.
On remarque que la version allemande de la cinquième phrase utilise à la fin le terme "Liebe" que les deux versions, anglaise et française, traduisent par "charity" et "charité", ce qui n'est pas homogène pour la version française. On rappelle que l'allemand ne dispose pas de terme pour charité et qyu'il utilise "Liebe". Sinon, les trois versions sont identiques. On note le pas suivant enseigné par le Saint-Père : la phase personnelle, individuelle, centrée sur le croyant, s'ouvre sur le monde seulement à ce point. Le croyant habité par la charité a trois moyens de diffuser la charité dans le monde : défendre, proposer ou témoigner de la vérité.
Complètement "perdue", la version française renonce à traduire ce que l'anglaise a rendu par "charity". La version allemande avait montré le "mauvais exemple" en utilisant "diese" pour "Liebe". En fait, il est clair qu'il s'agit de la charité puisque le français "charité " est seule au féminin.
La septième phrase renforce la conjonction de la charité et de la vérité opérée dans la sixième phrase. On utilise un français "correct" avec "élan" au lieu d'"impulsion", préférée dans les versions allemande et anglaise. L'impulsion fait pourtant meilleur sens dans le schéma qui semble avoir guidé l'expression de la théologie du Pape, le schéma de la mécanique newtonienne. Le terme d'"élan" est plus psychologique. On note une autre différence. Le pape s'il a rédigé en allemand, conjugue "charité" et "vérité", soit "Liebe und Wahrheit". Quand il constate l'impulsion de la charité, il dit que l'homme " spürt des inneren Impuls wahrhaft zu lieben ...". Il y a une association entre "wahrhaft zu lieben" et "Liebe und Wahrheit". Il en résulte que les deux versions anglaise et française manquent cette association en rapprochant "to love authentically" et "love and truth" pour la première et "pour aimer de manière authentique" et "l'amour et la vérité" pour la seconde. Le Pape dans la version allemande relie l'amour et la vérité. L'authenticité est une notion trop dérivée de la vérité. Le croyant doit aimer véritablement.
La neuvième phrase du Pape nous enseigne le rôle du Christ purificateur et libérateur de nos pauvretés, puis révélateur de l'initiative de Dieu. Les trois versions sont équivalentes.
La dixième et la onzième phrases sont extrêmement différentes entre les versions allemande et anglaise d'une part et la version française d'autre part. Cette dernière "censure" simplement l'idée que l'amour dans la vérité serait la Face du Christ. On note que la traduction française ne rend pas un concept d'ordre spirituel - la Vérité est la Face du Christ - pour le déclasser en un impératif social - la vocation à aimer nos frères, dont on se demande dans quel texte le traducteur a t'il trouvé cette expression. On peut remarquer l'extraordinaire densité du texte du seul premier paragraphe de l'Encyclique. Benoît XVI prononce ici un enseignement d'une exceptionnelle qualité. Certains verront dans cette reconnaissance un excès de papisme. Mais les hommes de bonne volonté peuvent lire son Encyclique avec cependant la prudence qu'impose les variations parfois étranges de certaines versions linguistiques de l'Encyclique. |