La prophétie du nihilisme de Nietzche confrontée à l'espérance chrétienne.
Philippe Brindet
19 août 2008

2. Ce que je raconte, c'est l'histoire des deux siècles qui vont venir. Je décris ce qui va venir, ce qui ne saurait plus venir autrement : la montée du nihilisme. Cette page d'histoire peut être contée dès maintenant : car, dans le cas présent, la nécessité elle-même est à l'oeuvre. Cet avenir parle déjà par la voix de cent signes et présages, cette fatalité s'annonce partout ; pour entendre cette musique de l'avenir toutes les oreilles sont déjà tendues. Notre civilisation européenne tout entière s'agite depuis longtemps sous une pression qui va jusqu'à la torture, une angoisse qui grandit de dix ans en dix ans, comme si elle voulait provoquer une catastrophe : inquiète, violente, emportée, semblable à un fleuve qui veut arriver au terme de son cours, qui ne réfléchit plus, qui craint de réfléchir.

Friedrich NIETZSCHE - La Volonté de puissance (1900)

Ici aussi, apparaît comme élément caractéristique des chrétiens le fait qu'ils ont un avenir : ce n'est pas qu'ils sachent dans les détails ce qui les attend, mais ils savent de manière générale que leur vie ne finit pas dans le néant. C'est seulement lorsque l'avenir est assuré en tant que réalité positive que le présent devient aussi vivable. Ainsi, nous pouvons maintenant dire : le christianisme n'était pas seulement une « bonne nouvelle » – la communication d'un contenu jusqu'à présent ignoré. Dans notre langage, nous dirions : le message chrétien n'était pas seulement « informatif », mais « performatif ». Cela signifie que l'évangile n'est pas uniquement une communication d'éléments que l'on peut connaître, mais une communication qui produit des faits et qui change la vie. La porte obscure du temps, de l'avenir, a été ouverte toute grande. Celui qui a l'espérance vit différemment; une vie nouvelle lui a déjà été donnée.

BENOIT XVI - Encyclique Spe Salvi (30 novembre 2007)

Réflexions

La confrontation de ces deux pensées est essentielle pour le chrétien. Parce que l'enseignement de Benoît XVI ne résout pas à lui seul le problème posé par Nietzsche. Il faut encore que l'homme particulier se convertisse et croît en Celui qui est la Vérité niée par Nietzche.


1 - Le point de vue de l'homme dans le monde

Je peux savoir que les chrétiens prêchent une espérance. Je peux savoir aussi que le contenu de cette espérance n'est pas seulement "informatif", mais aussi "performatif". Si je ne me convertis pas, ma connaissance ne m'est d'aucune utilité. Et plus encore, Nietzsche nous prévient de ce que le nihilisme me conduit à refuser d'écouter le message de l'espérance chrétienne. Parce que le nihilisme se nourrit de la désespérance comme d'une drogue magique. Je peux sentir que je suis "mal". Je peux admettre que les chrétiens ressentent une joie dès ici-bas. Que m'importe, parce qu'une "nécessité", nous dit Nietzsche, une "nécessité" agit dans le monde.

Cette "nécessité" agissante dans le monde, que voit Nietzsche et qui nous pousse au nihilisme, n'est-elle pas l'exacte inversion de la force performative qui agit dans le contenu de l'espérance chrétienne et que nous dit Benoît XVI.


2 - Le point de vue de l'homme dans l'Eglise

Mais si les chrétiens savent le don de Dieu, les chrétiens savent aussi que le Monde est condamné et qu'il est dans l'angoisse des derniers temps [1]. Et la prophétie de Nietzsche n'est jamais que l'exacte reproduction des alertes que le Christ a prodigué à ses disciples. Il existe, agissant dans le monde, une force terrible, obscure et d'une puissance insensée, qui l'entraîne à sa destruction. Et cet entraînement provient de cette "nécessité" que dit Nietzsche. Cet entraînement de l'Histoire dans les catastrophes du nihilisme produit cette "angoisse" dont souffrent nos contemporains, inquiets du lendemain et des rumeurs de tremblements de terre, de massacres épouvantables.


3 - La confrontation de la nécessité nietzschéenne et de la grâce

Dans cette confrontation entre l'espérance chrétienne et le nihilisme de Nietzsche, les chrétiens peuvent comprendre que l'action salvatrice du Christ ne nous relève pas seulement de notre défaillance. L'action du Christ n'est pas seulement un sacrifice prodigieux en rémission de nos péchés. Cette action salvatrice du Christ est aussi un combat qu'Il mène pour nous contre la "nécessité" nietzschéenne, toujours agissante dans le Monde dans lequel vivent les chrétiens, contre la nécessité angoissante de cette société dans laquelle les chrétiens agissent par l'Eglise, en enseignant et en baptisant de sorte que, parmi toutes les nations, le Christ ait des disciples selon le commandement qu'il a donné en instituant l'Eglise.

Il arrive que l'enseignement de la Foi mette en avant le caractère volontaire de la défaillance de l'homme. C'est par sa faute que l'homme est devenu mortel, séparé de Dieu. Mais Nietzsche voit bien dans sa négation du Christ que face au Christ, se dresse une "nécessité" agissante.

L'Eglise a déjà affirmé [2] et confirmé [3] l'existence de cette nécessité agissante dans le monde. On la désigne par les expressions de "prince des ténèbres", de "Satan", d'"anges déchus". Le nihilisme s'étendant, même parmi les membres de l'Eglise, les chrétiens ont eu tendance dans ces dernières cinquantes années à ignorer l'Adversaire, à nier le Grand Négateur. Quelle Erreur !

Certains chrétiens, qui finissent en cela par rejoindre les ennemis du Christ, méprisent leurs frères qui interpètent l'action d'une force obscure dans les souffrances et l'angoisse du monde. Nier l'existence des démons revient pourtant à soutenir l'erreur de Nietzsche niant le Christ.

Et encore ! Nietzsche nie le Christ avec tant de vigueur que cette vigueur est une véritable reconnaissance tant de l'existence du Sauveur que de sa Victoire sur le Malin.

Notes

[1] Voir Saint Marc (22 31 et 32) :
Le Seigneur dit: Simon, Simon, Satan vous a réclamés, pour vous cribler comme le froment.
 Mais j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point; et toi, quand tu seras converti, affermis tes frères.

[2] Voir Concile de Trente - Décret sur le Péché Originel du 17 juin 1546 :
"1. Si quelqu'un ne reconnait pas qu'Adam le premier homme, ayant transgressé le commandement de Dieu dans le Paradis, est déchu de l'état de sainteté et de justice, dans lequel il avait été établi ; et par ce péché de désobéissance, et cette prévarication, a encouru la colere et l'indignation de Dieu, et en conséquence la mort, dont Dieu l'avait auparavant menacé (Gen. 2. 17.), et avec la mort, la captivité sous la puissance du Diable, qui depuis a eû l'empire de la mort (Heb 2. 14.) ; et que par cette offense, et cette prévarication, Adam, selon le corps, et selon l'ame, a été changé en un pire état : Qu'il soit Anathême."

[3] Voir Catéchisme de l'Eglise Catholique :
"397 L’homme, tenté par le diable, a laissé mourir dans son cœur la confiance envers son créateur (cf. Gn 3, 1-11) et, en abusant de sa liberté, a désobéi au commandement de Dieu. C’est en cela qu’a consisté le premier péché de l’homme (cf. Rm 5, 19). Tout péché, par la suite, sera une désobéissance à Dieu et un manque de confiance en sa bonté. ...3

Voir Lumen Gentium. 48. Paragraphe 4 :
"Aussi nous efforçons-nous de plaire au Seigneur (cf. II Cor. 5, 9) et nous revêtons-nous des armes de Dieu afin de pouvoir tenir ferme contre les ruses du diable et, au jour mauvais, résister (cf. Eph. 6, 11-13)."

Voir aussi Catéchisme de l'Eglise Catholique
"391 Derrière le choix désobéissant de nos premiers parents il y a une voix séductrice, opposée à Dieu (cf. Gn 3, 4-5)  ...".